Fringe d'Édimbourg : L'IA explorée par le théâtre créatif

Theguardian

Le festival annuel Fringe d’Édimbourg est depuis longtemps un creuset pour explorer les anxiétés et les aspirations de notre époque, et cette année, l’intelligence artificielle occupe le devant de la scène. Comme toute technologie naissante qui brouille les lignes entre le réel et l’imaginé – des voix de radio dans nos salons aux stars de cinéma sur un écran – l’IA nous trouble profondément. La poésie instantanée, souvent imparfaite, d’une invite ChatGPT reflète l’émerveillement désorientant que les premiers livres imprimés ont dû évoquer chez une population analphabète. Comment concilier quelque chose qui communique avec des nuances humaines mais ne possède aucune forme physique ? Cette incertitude fondamentale imprègne les productions sur le thème de l’IA au Fringe, se manifestant souvent par une ambiance apocalyptique, soulevant une question collective : ne sommes-nous qu’en train de léguer notre avenir aux machines ?

Un exemple frappant est Dead Air, où la dramaturge Alfrun Rose incarne Alfie, une Hamlet contemporaine et féminine. Comme le personnage iconique de Shakespeare, Alfie est aux prises avec un père décédé et une mère qui a refait sa vie avec un nouveau partenaire, John. Cependant, le père d’Alfie n’est pas un fantôme mais un simulacre d’IA, une réplique numérique maintenue par un service d’abonnement appelé AiR. Tant qu’elle maintient les paiements, Alfie peut s’accrocher à cette présence paternelle virtuelle, et avec elle, à son profond sentiment de culpabilité du survivant et à ses problèmes non résolus. Le service, complet avec des opérateurs joyeux et une musique d’attente, offre une reproduction presque parfaite, mais subtilement imparfaite, de l’homme. Le récit captivant de Rose explore moins les limites techniques de l’IA et davantage le processus complexe du deuil. La colère d’Alfie envers sa mère et John ne provient pas d’eux, mais de ses propres fausses couches, confondant la perte de son père avec la perte de ses enfants. Ce père virtuel, aussi réaliste soit-il, prolonge finalement son inertie, incapable de lui apporter la véritable clôture qu’elle recherche.

Une vision différente de l’avenir de l’IA se déroule dans Stampin’ in the Graveyard, où Elisabeth Gunawan incarne Rose, un chatbot IA qui prétend guider l’humanité à travers la fin du monde. Rose, aux articulations authentiquement raides, navigue dans une interface numérique plagée de bugs et d’erreurs réseau, ponctuée de graphiques de “rose” à l’écran lorsqu’elle “hallucine”. Dans cette production à la pointe de la technologie, co-créée avec le directeur de mouvement Matej Matejka pour Kiss Witness, le public, équipé de casques, est sondé pour façonner des intrigues optionnelles, garantissant que chaque spectacle se déroule de manière unique. Le récit global est une descente catastrophique, commençant par un couple cherchant des conseils matrimoniaux auprès d’un distributeur automatique et culminant en séparations forcées et en aéroports fermés. La performance de Gunawan, améliorée par un hybride d’accordéon synthé steampunk fabriqué à partir d’électronique recyclée, brosse un tableau fascinant, quoique sombre, d’un avenir défini par des erreurs informatiques omniprésentes et l’indifférence numérique, un paysage hostile pour les interactions humaines désordonnées.

Poussant les limites du théâtre personnalisé, l’Angry Fish Theater de New York et l’Ally Artists Group emploient l’IA pour générer un script sur mesure pour chaque membre du public dans AI: The Waiting Room – An Audiovisual Journey. Avant le spectacle, les spectateurs remplissent un questionnaire, partageant des détails sur leurs ambitions, leurs proches et leur héritage. Au moment où ils entrent dans le studio, une histoire personnalisée les attend via des écouteurs, livrée par une voix étrangement réaliste. Ces récits uniques sont tissés dans une histoire universelle plus vaste de décomposition sociale et de rajeunissement high-tech. Alors qu’un spectateur pourrait entendre une saga impliquant une lune sucrée, un sac d’or et soixante et une statues, un autre pourrait vivre une histoire romantique sur lui-même et son chat familial – un témoignage de la capacité de la technologie à l’hyper-personnalisation. Alors que le public se déplace librement dans un studio, observant une animation monochrome (potentiellement générée par l’IA elle-même), il est invité à incarner des personnages dans leurs histoires. Bien que certaines demandes de participation du public, comme une “fête dansante”, semblent quelque peu forcées, la production reste une tentative intrigante et originale d’exploiter une technologie inhumaine pour une expression créative profondément humaine.

L’adoption de l’IA par Édimbourg dans le théâtre témoigne d’une compréhension nuancée de ses implications, allant au-delà des simples peurs dystopiques pour explorer sa capacité troublante à refléter nos anxiétés les plus profondes, à traiter notre deuil et même à créer des récits personnels étonnamment intimes, bien que médiatisés numériquement.